Le virus de l'aviation
Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon furent pilotes privés à partir de l'été 1947, puis professionnels, à partir de juin 1948. L'expérience acquise pendant ces trois ou quatre années de pilotage a joué un rôle capital dans la carrière artistique des deux auteurs, et surtout du scénariste qui, jusqu'à sa mort, a mis l'aviation à toutes les sauces tant dans ses scénarios de BD ou de téléfilms, que ses articles et reportages... Jean-Michel Charlier d'abord, puis Victor Hubinon environ un mois après, s'initient au pilotage d'avions de tourisme au printemps 1947. Ils ont l'exemple de leur patron de l'époque, Georges Troisfontaines, lui-même pilote, et surtout, ils sont vite convaincus qu'il vaut mieux savoir de quoi ils parlent dans leur nouvelle série d'aviation, Buck Danny. Liégeois habitant Liège, c'est tout naturellement à l'aéro-club de la ville, le Club Motor Union, qu'ils s'inscrivent. Gagnant peu d'argent avec les dessins et le scénario et ne pouvant pas se payer des heures de vol, ils envisagent assez vite de vivre de leur nouvelle passion en devenant pilotes professionnels. Fin 1947, ils se rendent en Angleterre, à la demande de leur aéro-club, pour en ramener un avion qui servirait d'écolage. Là-bas, ils trouvent dans les surplus un vieux Tiger Moth, qui se désentoile en traversant la Manche, sur le chemin du retour vers la Belgique. Avec son moteur époumoné, l'appareil ne peut plus prendre de hauteur, et c'est par une brèche dans les falaises qu'ils réussissent à franchir la côte française à très basse altitude. A bord de cet appareil, remis en état, ils passent leurs tests en vol pour le brevet professionnel. Pour la voltige, ils se servent d'un manuel militaire d'avant-guerre, et pendant que l'un effectue au-dessus de l'aérodrome les figures imposées, l'autre, depuis le sol, observe et commente. Fin juin 1948, enfin, ils passent et réussissent leur brevet. Les voilà professionnels, les très rares pilotes professionnels civils belges, hors compagnies aériennes telle la Sabena. Ils font un peu de tout, souvent le week-end : remorquages de panneaux publicitaires, baptêmes de l'air dans des villages perdus (ils se posent en plein champ). Pendant le Tour de France, ils parachutent des journaux dans les villages reculés qui, sans ce moyen, auraient un jour trop tard le compte-rendu de l'étape de la veille. Un jour, Hubinon balance par inadvertance son paquet de journaux dans un élevage de poussins. Il préfère confier la mission du lendemain à son complice Charlier. Mais les fermiers, fort mécontents, attendent de pied ferme l'avion et, par vengeance, tirent dessus à coups de fusil. Charlier constatera, une fois revenu au terrain, une multitude de trous de chevrotine dans l'entoilage de l'appareil...
Leurs mésaventures sont innombrables ; Victor Hubinon cassera deux hélices et une fois se posera en panne moteur dans un champ de betteraves, ce qui n'est pas conseillé à un train d'atterrissage... Une autre fois, il faillit se noyer au décollage, le Jodel qu'il pilotait manquant de se retourner comme une crêpe dans un plan d'eau. A une époque, les Israéliens, qui venaient d'obtenir la création d'un Etat à eux (mai 1948), cherchent partout à travers le monde des brevetés pour piloter les avions de leur flotte aérienne en cours de constitution. Ils aboutissent en Belgique et s'adressent à nos deux héros. Mais l'affaire ne se fait pas. Plus tard, entre autres à cause de la guerre de Corée qui débute en Extrême-Orient et qui monopolise de nombreux pilotes militaires à travers le monde, la compagnie belge Sabena, qui recrutait habituellement parmi eux, cherche d'autres possibilités. C'est ainsi que Charlier et Hubinon sont approchés pour devenir pilotes de ligne. Hubinon refuse (le dessin de BD prend beaucoup de temps), mais Charlier accepte. Il deviendra donc en 1950 pilote à la Sabena et se retrouvera aux commandes de DC3 et de Convair. Mais il effectuera des vols essentiellement comme copilote. Parfois, il perdra son temps dans les bureaux à remplir de la paperasserie. Ou à se morfondre sur l'aérodrome du Bourget près de Paris, quand un avion attend ses passagers pour repartir sur Bruxelles. Il fera aussi des corvées comme le transport, vers des aérodromes éloignés, de cages de pigeons voyageurs, dans le cadre des concours colombophiles, très prisés en Belgique. Des voyages dont ses collègues ne veulent pas en raison du peu d'intérêt, et surtout de l'odeur insoutenable qui envahit la cabine...
Au bout d'un an de ce régime, et les possibilités de promotion à la fonction de commandant de bord étant très limitées, surtout sur les lignes internationales, les plus recherchées, Jean-Michel abandonne la partie. Il restera pilote amateur, volant en Belgique ou près de Paris, à l'époque où faire le tour de la capitale à partir de l'aérodrome de Toussus-le-Noble était très simple, sans les contraintes et restrictions draconiennes d'aujourd'hui. C'est ainsi que, venant de rencontrer René Goscinny qui cherchait du boulot dans la BD, il l'emmena pour un vol qui ne se reproduira pas, le futur scénariste d'Astérix étant, lui, un passionné des voyages en paquebot... Les derniers vols de JMC (en tant que pilote) datent de 1953. |